25.2.09

VOIR

Voir


Je respire ta peau, et dans le contrebas de mon nez, mes lèvres  frôlent ton épiderme à la distance d’un angstrœm. Les yeux grands fermés. Puis ta voix immobilise l’instant. Ma pupille est morte mais elle travaille encore au rythme de tes paupières que je sens sur ma joue, puis sur mon front. Là se situe l’ultime transport de la tendresse : parcourir le monde dans sa tête, les yeux grands fermés pour une fois, c’est-à-dire oubliant ta représentation visuelle au profit des fragrances de ton épaule et du gustatif de tes lèvres. Que dis-tu, toi, du noir qui nous entoure à présent ? Le gouffre, l’abîme, le précipice visuel dans lequel je me confortais se résout dans la conjonction de nos corps. La présence et la proximité du beau n’empêchent point que je respire, que j’ hume ta vie. L’addiction et la dépendance à l’esthétique de ton être n’annulent en rien le fanatisme olfactif que ton parfum, ton seul parfum originel, impose à ma conscience. L’inspiration est là : j’inspire tes volutes et j’effleure ta réalité. A cet instant, dans ma toute fatuité humaine puisque hors de ma vue je ne suis plus rien, puisque sans ma vue je ne vaux plus rien, je parcours tes courbes à l’aide de mon odorat et du bout de mes doigts qui refusent le tactile. Refus du voir et du revoir. Je clame aux creux de ton oreille mon discours sur l’hégémonie du paraître :


Le cristallin de ma pensée, oblitéré.

La prunelle de mon désir, destituée.

La cornée de mon attente, démantelée.

L’optique de mon devenir, brisée.

L’iris de ma pensée, conspué.

La pupille, aveugle des représentations de toi, oubliée.

Et pourtant le monde existe hors de la vision de celui-ci.


Détaillons mon parcours sensitif. Tout d’abord l’œil, le grand ordonnateur, maître absolu de la situation du vivant. Je le perçois sous ta paupière close, je l’imagine révolté, comme enchaîné et tressaillant derrière ce mur de chair qui le destitue de son pouvoir. Tandis que l’armée de tes cils, au repos, propose une herse infranchissable qui le protège malgré lui. Sur la piste rectiligne de ton nez commence la descente vertigineuse, pareil au saut à ski, pour atterrir sur la poudreuse de ta bouche. Ta respiration m’a propulsé trop loin, et je suis projeté par ton souffle pour atterrir au sommet inversé de ton menton. Alors dans ma précipitation je poursuis la course sur la piste de ton cou pour finir interdit à nouveau sur le sommet miraculeux de ton épaule. J’inhale la brise de l’ovale fabuleux.  Noir, l’absence de la lumière, noir, l’inexistence de la couleur ; et ton effluve alimente ma possession comme ma déraison. J’ai remonté la longue pente de ton épine dorsale, pour y découvrir la naissance de ta nuque ; cette fois-ci mes lèvres n’ont pu faire autrement que de s’y déposer. Nulle atteinte, nulle contrainte de ton intégrité, peut-être dors-tu ? J’écoute maintenant ton tympan, espérant le ressac de l’océan. Mais rien n’y fait car l’obturateur de ma conscience n’a de cesse de vouloir laisser passer la lumière. Voir ton visage, contempler ton sourire, fixer tes mirettes, percevoir ton souffle, fixer ton image. Alors, je suis resté un long moment sur le sommet divin, les lèvres juste posées telles des pétales de fleur ; n’osant inspirer, réprimant ma respiration. Le contact charnel opérant la jonction de nos battements de cœurs se répondant sans doute. Alors circulèrent dans mon diaporama mémoriel les images des buttes chaumont. Je restais ainsi, un long moment, revisitant la béatitude par ton intermédiaire. Tu étais adossée à l’une des colonnes du dôme surplombant le parc, ignorant ma présence et fixant le lointain embrumé de Paris. Maintenant je peux mettre à plat la consanguinité du réel et de la fiction : tu es là, je te survole, les yeux clos tu visualises mon passage, les yeux grands fermés tu diriges le monde, mon monde, et j’ose te clamer bien haut ma soumission, comme les dernières paroles d’un condamné. Car j’attends que la mitrailleuse de tes yeux ouvre le feu une nouvelle fois pour une exécution finale. Voilà le symptôme, cette parole bâillonnée donc du non-dit, frise  la surface de ton épiderme, le cœur rompu par ce survol libératoire, en attente d’une syllabe provenant de ton souffle. Qui ouvrira les yeux le premier ?


What are you thinking about?

Nothing. 

What are you waiting for?

To see you.

Here I am.

You stare at me, let’s begin to fight.


Maintenant j’obtiens enfin la couleur du désir : c’est une identification du réel et par là même une consanguinité de la fiction et du palpable. Le tactile est toujours en jeu.

Ouverture des paupières, lever de rideau : la contiguïté photographique est égale à la cohésion mentale.  

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